D ans une société corse tristement familière avec les sinistres comptages de victimes Certaines décès laissent une empreinte indélébile dans nos mémoires. L’assassinat de Pierre Alessandris, un cultivateur spécialisé en huiles essentielles, abattu le 17 mars sur sa ferme située à Sarrola-Carcopino (Corse-du-Sud), fait partie de ceux qui resteront gravés. Trente jours se sont écoulés depuis ce crime commis au sein du milieu agricole local et l’intérêt pour cet événement persiste toujours en Corse.
« La communauté agricole est sous le choc, raconte un fermier local qui souhaite rester anonyme. Une semaine auparavant, une protestation s'était tenue à Ajaccio concernant la criminalité organisée. Pierre en faisait partie. L'image transmise au public est dévastatrice. C’est un sentiment de resignation. »
Le lundi 17 mars, alors que la nuit venait tout juste de tomber à U Mandriolu, cet homme âgé de 55 ans travaillant comme agriculteur a été atteint mortellement dans le dos par des coups de feu provenant probablement d'une arme. Immédiatement après, le procureur près le tribunal d’Ajaccio a lancé une investigation pour "homicide volontaire". Les recherches menées par la gendarmerie ont révélé qu'il y avait eu un point de tir situé environ à vingt mètres du site où le corps a été découvert.
Des caméras installées dans le domaine ont capturé les mouvements finals de la victime. Selon les investigateurs, il est indéniable que toutes les preuves recueillies soutiennent la théorie d’un crime planifié à l'avance.
Qu'est-ce qu'un « lanceur d'alerte » ?
Dans les heures suivantes, l’organisation anticorruption Anticor a rendu hommage à une personne qualifiée de « lanceuse d'alertes», décès survenu dans un climat marqué par des pratiques maffieuses et corrompues qui rongent la Corse. Pierre Alessandri, le président pour la Corse-du-Sud du syndicat agricole Via Campagnola, lié à la Confédération paysanne, avait maintes fois critiqué les excès au sein de son secteur professionnel.
Il avait été impliqué, dès 2016, dans la lutte contre des Fraude concernant les subventions de la Politique Agricole Commune (PAC) qui avaient défrayé la chronique dans l'île. Il se montrait aussi très vigilant sur le grignotage des espaces agricoles par l'urbanisation dans le cadre de ses fonctions au sein de la commission territoriale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CTPENAF)
Élu au conseil de l'agriculture de Corse-du-Sud entre 2007 et 2013, ce fermier était également reconnu pour sa participation active dans le domaine politique. En 1992, il a contribué à créer le syndicat nationalistes étudiants Ghjuventù paolina et soutenait activement les mouvements indépendantistes comme Core in Fronte.
Suite à ce meurtre traumatisant, Jean-Baptiste Arena, président de la chambre régionale d’agriculture et un des appuis de Pierre Alessandri, a exprimé sa colère : « Nous n’autoriserons jamais les puissances sombres à détruire l’espoir pour nos jeunes. »
Léo Battesti, représentant du groupe anticrimine "Maffia nò", va encore au-delà en mettant en lumière la dimension mafieuse de ce meurtre dans une zone qui constitue le foyer le plus criminel de France, un endroit où le nombre de homicides est trois fois plus élevé que la moyenne nationale : « Il serait injuste de classer les décès par ordre d’importance, mais celui de Pierre Alessandrios se distingue certainement comme étant particulièrement emblématique puisque cette personne combattait activement le réseau mafieux. La victime a été tuée simplement pour avoir contesté le système corrompu, et cela relève clairement des méthodes utilisées par la mafia. »
Des conflits passés
Via Campagnolo, qui prévoit de s’impliquer en tant que partie civile dans cette affaire, propose cependant une interprétation différente des faits. L'union syndicale à laquelle Pierre Alessandri était affilié pendant deux décennies a diffusé les informations le 1 er En avril pour réfuter l'idée que la victime serait un " lanceur d'alerte ". " Les termes utilisés sont importants, et il est clair que Pierre n'a jamais porté plainte contre qui que ce soit ou alerté sur une situation.", explique-t-on. Point Laetitia Simeoni, qui présidait Via Campagnola en Haute-Corse, était un fervent protecteur des terres agricoles. Toutefois, elle n’était pas du genre à se soumettre facilement. Elle avait pris position publiquement en faveur d’une agriculture productive et combattait activement les pratiques frauduleuses. »
Les premiers éléments de l'enquête paraissent écarter l'idée qu'il s'agisse d'un militant tombé à cause de ses engagements. D’après nos renseignements, les autorités examinent avec précaution la possibilité que ce meurtre soit lié à un désaccord entre voisins, dans une situation impliquant un problème concernant la propriété du terrain. Une perquisition effectuée chez un résident adjacent n'a pas porté fruit, mais les investigateurs étudient minutieusement tous les précédents conflits auxquels la personne pourrait avoir été mêlée afin de comprendre le cadre de cette homicide.
En avril 2019, l’entrepôt de la distillerie appartenant à Pierre Alessandri a été ravagé par un incendie volontaire sur cette propriété familiale cultivée aux agrumes depuis la conclusion du XIXème siècle. e siècle, qu'il gérait depuis 1993. À l’époque, le procureur avait associé ces faits, survenus peu de temps après les élections agricoles de janvier 2019, à ses "positions syndicales". Il se trouvait que Pierre Alessandri menait la liste de Via Campagnolo lors de ce scrutin.
L’enquête ne s’est pas conclue, mais quelques jours après les événements, quelque trois cents personnes se sont rassemblées pour montrer leur solidarité à Ajaccio. La personne tuée avait eu affaire à un pistolet d’alarme dans le cadre d’un différend avec son voisin durant l’année 2022. Le responsable du tir a fait face à une procédure impliquant une reconnaissance anticipée de sa culpabilité. À ce jour cependant, aucune connexion n’a pu être faite entre cette incident et le meurtre en question.